Le système de santé au Québec, angoisse de l’immigrant français

En tant qu’immigrant français, l’un des principaux motifs d’inquiétude en m’installant au Québec a été et reste la question de l’accès au système de soins. Rapidement, en échangeant avec quelques personnes, françaises comme québécoises, cela m’est apparu comme un obstacle pas totalement infranchissable mais pas loin. Ce qui ressort de ces premières discussions, c’est que le Québec et Montréal en particulier souffrent d’un manque criant de ce que nous appelons en France les médecins généralistes. Ici, « le médecin de famille » est une denrée rare et de nombreuses familles n’y ont pas accès.

Dans la grande majorité des cas, c’est l’hôpital qui prend le relais. Hôpital, clinique, fondations publique ou privée… je n’ai pas encore bien fait la distinction ni bien saisi les rouages du système de santé québécois. Toujours est-il qu’avec trois enfants dont un en bas-âge, la situation n’est pas exactement rassurante, surtout lorsqu’on vient d’un pays comme la France où la tendance serait plutôt inverse: à savoir une abondance de médecins, au moins en milieu urbain.

Bon, en même temps, il n’y a là rien de très nouveau et je me doute que toutes les personnes qui immigrent au Canada, à tout le moins au Québec, sont confrontées aux mêmes interrogations, aux mêmes craintes. J’ai d’ailleurs du mal à ne pas repenser, évidemment, au film Les Invasions Barbares et à cette première partie où l’on découvre le fonctionnement de l’hôpital public québécois, ses failles et ses dérives. Cruel et drôle à la fois.

Jean Charest au CHU Sainte-Justine

Si bien qu’en assistant aujourd’hui à une conférence de presse de Jean Charest, premier ministre du Québec – mon baptême de ce côté-ci de l’océan – portant sur « le lancement de la plus importante phase du projet de modernisation du centre hospitalier universitaire Sainte-Justine », je me suis dit que l’occasion était belle d’acquérir quelques notions complémentaires sur le sujet. Je n’ai pas été déçu.

Jean Charest, premier ministre du Québec, à l'hôpital Sainte-Justine, mardi 17 mars 2010

D’abord, j’ai fait un peu de politique locale (et des photos). J’ai donc rencontré le 1er ministre Charest et quelques-uns de ses ministres, dont celui de la Santé et des Services sociaux. Yves Bolduc, très critiqué mais qui est passé entre les mailles du remaniement ministériel auquel Charest a procédé la semaine dernière. Lui-même n’étant pas au mieux dans les sondages, il aurait bien aimé, ai-je pu lire par ailleurs, se débarrasser d’un élément dépeint comme « mauvais communicateur mais bon gestionnaire ».

Cependant, Yves Bolduc ne pouvait pas ne pas être présent au lancement du programme « de près d’un milliard de dollars » qui doit transformer et moderniser le CHU Saint-Justine, ce « joyau de la médecine pédiatrique ». Visiblement très impliqué dans l’élaboration du projet au côté de la direction de l’établissement et de son conseil d’administration, le Dr Bolduc l’a donc présenté comme un programme « résolument tournée vers l’avenir », destiné, cette fois-ci selon le 1er ministre, à « marquer une étape déterminante pour la modernisation de la médecine universitaire montréalaise et le développement de l’offre de soin de santé au Québec ». Ouhaou, me suis-je dit, moi l’immigré, quelle chance d’arriver avec mes trois enfants dont un en bas-âge dans un tel contexte.

En somme, l’hôpital Sainte-Justine sera agrandi et rénové à l’horizon 2018. Il sera « une réponse adaptée aux besoins sans cesse croissants des patients et de leurs familles, des médecins, des équipes de soins, des chercheurs et des étudiants », selon Ghislaine Larocque, présidente du conseil d’administration. L’hôpital disposera notamment d’un centre de recherches et d’un bloc des unités spécialisées tout neufs. A terme, il comptera 419 lits en chambre « à occupation simple », une cinquantaine de chercheurs supplémentaires, un centre de cancérologie neuf (déjà bâti), une unité de néonatologie neuve elle aussi, etc.

Des limites à l’exercice ? Les effectifs, le coût, etc.

Bref, l’enthousiasme autour du projet n’était pas feint et sa portée semble devoir dépasser largement le cadre du Québec. Mais en même temps, il y a de quoi s’interroger. Premier motif: la problématique des effectifs qui seront consacrés à ces nouveaux outils. Un journaliste de Radio-Canada a posé la question, le 1er ministre n’y a pas apporté de réponse satisfaisante:

« Nous n’en sommes pas rendus là. Les budgets de fonctionnement seront décidés au fur et à mesure, ils n’ont pas encore été quantifiés. En même temps, nous faisons des efforts très importants pour augmenter le personnel de santé depuis des années et, malgré la crise, le gouvernement a toujours protégé les budgets de la santé ».

Il a glissé un mot au passage à propos de l’augmentation du nombre d’étudiants en médecine et des « premiers effets qui se font sentir » sur la filière. Mais pas plus de précisions sur la qualité et la quantité des personnels qui devront faire tourner le « joyau ».

Quant à l’opposition, elle a fait son boulot et instillé en moi un doute supplémentaire. Le « porte-parole de l’opposition officielle en matière de santé », Bernard Drainville, est revenu dans la foulée sur le coût et l’échéancier du projet:

« Dans son dernier rapport, le Vérificateur général confirmait que le budget accordé pour ce projet d’envergure était fixé à 503 millions de dollars. Or, on apprend aujourd’hui que le budget passe du simple au double et atteint maintenant 995 millions de dollars.

« Qui plus est, alors que le projet devait être livré en 2014, il le sera finalement en 2018. C’est deux fois plus cher que prévu et quatre ans plus tard. Sans l’ombre d’un doute, le gouvernement libéral fait la preuve, une fois de plus, qu’il est incapable de gérer un chantier d’envergure à l’intérieur des délais et des coûts prévus. »

Cela fait désordre, d’autant que le financement « communautaire » – des fondations rattachées au CHU -, ne s’élève qu’à hauteur de 125 millions de dollars. « Conséquence : les contribuables québécois vont devoir encore payer plus cher pour l’incurie libérale », relève encore Bernard Drainville. Et moi, nouveau contribuable québécois (presque), avec mes trois enfants dont un en bas-âge, que dois-je en penser ?

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