« L’espace démocratique rétrécit de jour en jour »

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le nouveau secrétaire général d’Amnistie Internationale n’évoque pas ici la situation en France. Interrogé par La Presse et présent à Montréal au congrès de l’organisation Civicus cette fin de semaine, Shalil Shetty épingle en fait le Canada. Et tacle le gouvernement conservateur de Stephen Harper:

« Il a une haute intolérance pour la dissension. Récemment, ils ont pris des actions contre des organisations qui avaient des opinions divergentes, notamment en restreignant leur financement ». Shalil Shetty évoque notamment la situation de deux organisations montréalaises – Alternatives et Droits et démocratie – qui « ont eu des démêlés avec le gouvernement », en particulier « après avoir exposé des points de vue sur la question palestinienne qui allaient à l’encontre des positions du gouvernement Harper », rappelle le quotidien.

« La pointe de l’iceberg » de l’idéologie conservatrice

En début d’année, Droits et démocratie a par ailleurs traversé une crise interne qui s’est cristallisée autour de la question Israël-Palestine et s’est soldée par la nomination par Ottawa d’un nouveau responsable connu « pour ses positions conservatrices au sujet de la peine de mort et du mariage gai ». Droits et démocratie est un organisme non partisan investi d’un mandat international créé en 1988 par le Parlement canadien pour « encourager et appuyer les valeurs universelles des droits humains et promouvoir les institutions et pratiques démocratiques partout dans le monde. »

L’interventionnisme des conservateurs a provoqué une levée de bouclier. Pour Amnistie Internationale:

« La situation à Droit et démocratie n’est que la pointe de l’iceberg d’une série de mesures partisanes du gouvernement Harper qui travestit les obligations du Canada en matière de défense des droits humains à l’idéologie conservatrice ».

Pour Alternatives, la situation est un peu différente, pas les effets, puisque Ottawa a récemment refusé de financer une conférence organisée par l’organisation sur le Proche-Orient et « axée sur la dégradation de l’environnement, les crises économiques mondiales et les conflits au Proche-Orient ».

D’autres structures communautaires, de défense des droits des homosexuels notamment, ont également vu leurs financements remis en cause.

Le difficile accès à l’information

Autre motif d’inquiétude selon le secrétaire général de l’organisation internationale: les difficultés d’accès à l’information. Une situation que les syndicats de journalistes et les grands médias ont largement dénoncé quatre ans.

Les conclusions de l’enquête menée sur le sujet par la commissaire à l’information, Suzanne Legault, et présentées en mars dernier, ne sont pas rassurantes: tendance « trop poussée » à la censure, taux de refus trop élevé et encore délais déraisonnables de réponse. Difficile d’informer correctement dans ces conditions.

Comment se traduit cette « restriction » ? Des sites relatent la manière dont se tiennent, depuis l’arrivée des conservateurs au pouvoir en 2006, les rendez-vous avec la presse. En voici un exemple:

« La tradition à Ottawa était de tenir sur une base régulière, dans cette salle que l’on appelle de manière fort évocatrice « le Théâtre », des conférences de Presse en compagnie du Premier ministre. Depuis près de deux ans, Stephan Harper a évité soigneusement de rencontrer les journalistes en ce lieu hautement symbolique de la démocratie canadienne (…)

« La raison de cette dérobade est fort simple. À l’extérieur du Théâtre, ce ne sont plus les journalistes de la Tribune qui président le point de presse, mais l’attaché politique du Premier ministre. La différence est plus que symbolique. C’est ici que commence le premier contrôle de l’information. »

Par ailleurs, les journalistes accrédités ont également l’obligation de s’inscrire s’ils souhaitent pouvoir poser leurs questions. « Après quoi leur sort dépend du bon vouloir de l’attaché de presse ».

« Dans ce contexte, la liberté de presse se limite à une seule question par journaliste, peu importe la pertinence de la réponse du Premier ministre. Stephan Harper peut se contenter de lancer quelques phrases sur un thème donné. Journalistes comme citoyens devront s’en contenter ! »

Le financement des partis politiques

Autre dossier non évoqué par le secrétaire général d’Amnistie Internationale mais qui témoigne également d’un recul de l’organisation démocratique du pays. A l’automne 2008, le gouvernement Harper a émis la volonté d’abolir l’allocation – un financement public d’1,95$ par vote après chaque élection – versée aux partis politiques.

A l’époque en pleine crise économique, Ottawa avait estimé que la mesure lui permettrait d’économiser 27 millions de dollars. La chef du Parti Vert, Elizabeth May avait alors dénoncé un plan « diabolique », estimant que Stephen Harper « exploite de manière cynique la crise financière à ses propres fins politiques ». La formation de Mme May aurait perdu plus de 60% de son financement !

La mesure avait été largement critiquée par l’ensemble de la classe politique, les partis d’opposition dénonçant un risque manifeste « d’affaiblissement de la démocratie ». Le débat sur le financement des partis n’est pas clos pour autant.

Le sort demandeurs d’asile Tamouls

Dernier thème abordé par le secrétaire général d’Amnistie Internationale: la situation des 490 demandeurs d’asile tamouls arrivés par bateau en Colombie-Britannique mi-août et les amalgames du ministre de la Sécurité publique, Vic Toews qui, rapporte le journal La Presse, « soupçonne des passagers du MV Sun Sea d’être des «terroristes» liés à l’Armée de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), un groupe séparatiste armé qui a combattu l’armée sri lankaise pendant un quart de siècle ». Shalil Shetty met en garde contre tout risque d’amalgame, avant de conclure:

« C’est une combinaison de différents facteurs qui nous démontre que sur le front domestique (au Canada) l’espace démocratique a rétréci. »

Candide, je m’interroge: existe-t-il un pays où les Droits Humains se portent bien ?