Immigration, la suite : le maudit français en mal de (bon) vin rouge pas cher

Pinard et camembert. Cuisine et dépendance. Immigrer, écrivais-je dans un précédent billet, c’est laisser une part de soi dans son pays d’origine et poursuivre l’aventure en remisant quelques menus souvenirs sans importance dans un recoin de sa mémoire. Et puis, il y a ces choses pour lesquelles transiger est tout simplement inimaginable. Le vin et le fromage sont de ceux-là, qui me renvoient à ma condition de satané français. A tout le moins à sa caricature…

La SAQ est un concept d’une grande perversité. Pour un français. La Société des alcools du Québec. Une société « d’Etat » qui a pour mandat de faire le commerce des boissons alcoolisées sur tout le territoire provincial. Héritage de la Commission des liqueurs du Québec puis de la Régie des alcools du Québec, cette société avait à l’origine pour objet « de gérer et de contrôler le commerce des vins et spiritueux, ainsi que d’émettre des permis pour les propriétaires d’hôtels ou de restaurants désireux de servir de l’alcool dans leurs établissements ».

« Procurer des revenus au développement du Québec »

Autre temps – la prohibition – autres moeurs. Et pourtant, aujourd’hui encore mais sous une forme différente, la Commission des liqueurs du Québec sévit toujours. La SAQ contrôle le commerce des alcools et, précision d’importance, des meilleurs alcools. L’organisme a également « le mandat de faire la promotion de la consommation responsable d’alcool ». Contrôler pour limiter. Boire ou conduire, pour faire court.

Mais ce n’est pas tout. Lorsque Robert Bourassa, premier ministre québécois, créé la Régie des alcools du Québec en 1971, l’un des objets de la nouvelle société est « de rechercher les moyens les plus efficaces et les plus économiques pour assurer la surveillance de ce commerce, en permettre l’exercice dans l’ordre et procurer des revenus essentiels au développement du Québec, sous forme d’impôt ou autrement ». Ah ! nous y voilà. Taxer l’alcool pour dégager des « revenus essentiels ». Le vin est donc taxé. Et bien taxé. Surtout lorsqu’il est importé.

Prenons cette bouteille de Phélan-Ségur 2003 par exemple (photo). Elle est arrivée de France par sac-à-dos. Le Canada autorisant les ressortissants français (étrangers en général, je crois) à infiltrer deux bouteilles de vin (qui n’auraient pas été achetées en zones « détaxées »). Ce Château Phélan-Ségur était la dernière bouteille de ma modeste « cave » française. Un symbole. Dénichée dans une foire aux vins en grande surface il y a cinq ans, son prix d’achat était, pour cette raison, divisé environ par deux, autour de 13 euros. Soit quelque-chose comme 27 euros en temps normal. Soit, encore, autour de 38 dollars canadiens (CAD).

C’est un vin que je ne me payerais pas en temps normal. En outre, c’était un cadeau (oui, je sais, ce n’est pas très fairplay de balancer le prix d’un cadeau, mais c’est pour la bonne cause). Cette bouteille revêt donc, d’une certaine manière, un caractère exceptionnel. C’est bien pour cette raison qu’elle a servi à célébrer notre installation dans le Nouveau Monde !

Un bon vin à moins de 10 $ ? Une gageure

Je n’ai pas retrouvé dans les magasins SAQ de Phélan-Ségur 2003. Mais un Saint-Estèphe du même tonneau, c’est au bas mot 70 « pièces ». 70 dollars canadiens, 50 euros européens, deux fois le prix. C’est plate. Un vin de tous les jours, un rince-bouche comme on en trouve à cinq, six euros en France, c’est une chimère ici, au Québec. Comme cela est souligné dans ce curieux mais assez bien vu Guide de survie des Européens à Montréal :

« Un vin, en dessous de 10 dollars, il est impossible de le boire et, au-dessus, de le payer ».

Plus loin, on peut y lire également cette réflexion sur la taxation de l’alcool:

« L’Etat décide-t-il de taxer le vin pour en diminuer la consommation, comme il décide d’interdire l’alcool après 23 heures ? Avant de nous faire des leçons de morale sur la condition dans laquelle nous serions plongés si nous étions libres, je lui suggère, en fait de moralité, de réfléchir au loto et autres loteries qu’il vend aux pauvres comme il leur vendait autrefois l’Eglise ».

Bon, sans être aussi radical, je dois dire que l’approche me plaît assez.

Dans le fond, la vraie, la seule question qui vaille, est la suivante: allait-on renoncer à boire du vin en s’installant au Québec sous prétexte qu’il coûte cher ? On a tranché et la réponse est: non. Par contre, il est quasi-impossible de contourner la SAQ. Y compris dans les restaurants où les vins sont encore surtaxés. Le client est autorisé à venir avec sa bouteille s’il ne veut pas se faire siphonner sa carte de débit.

On peut également trouver du vin dans les supermarchés généralistes, mais qui ne ressemble à rien. Des rouges certifiés « vin de France » mis en bouteille au Québec ! Autour de 13 dollars en moyenne, tel ce Leroisier que l’on retrouve absolument partout et qui est un peu un mystère.

Je reproduis ici l’intégralité de ce qui est écrit sur la bouteille:

« Leroisier, Les Tourelles. Elevé dans nos Chais. Produit de France. Product of France. 75 ml. Red wine.

« Leroisier Les Tourelles reflète parfaitement l’équilibre entre le fruit et les tannins. De couleur grenat, ce charmant vin dégage des notes aromatiques rappelant les doux parfums des petits fruits rouges confits.

« En bouche, harmonie et rondeur, tannins bien enrobés, fruits et légères épices vous permettront de parfaitement déguster vos viandes rouges favorites, telles que les grillades de veau et de boeuf, les pâtes italiennes, les terrines et les pâtés. »

C’est presque fini:

« Divin, Série Prestige, des vins d’origines certifiées marqués par l’authenticité et la diversité des terroirs à travers le monde ».

Du grand n’importe quoi… Exceptée l’origine « France », aucune mention ne permet de connaître ne serait-ce que la région de production de ce remarquable Leroisier. Sans même penser à demander le millésime…

Bon, en relisant tout ça, je me dis que j’ai pile adopté la posture du « maudit français », figure que les Québécois détestent. Le Français hautain, critique et donneur de leçon. J’ai donc aggravé mon cas.

Et le pire, dans l’affaire, c’est que je n’ai pas encore causé fromage…

A lire également: Immigration: nostalgie, deuil et liniment oléocalcaire

Comments: 7
  • Maripia 9 novembre 2010 9 h 37

    Une grosse impression de déjà-vu mais en Irlande, où les taxes sur l’alcool font doubler leur prix, même pour des alcools produits chez eux, tels le Whisky Jameson, distillé a 20minutes de Cork mais souvent acheté en France a 15€ et ramené en Irlande où on peut le trouver a 30€. Bizarreries de l’humain!!! Bon courage pour le vin et le fromage, je partage vos nostalgies d’immigré..bises

  • Louise 9 novembre 2010 21 h 06

    Ben le fromage c’est pas compliqué. Il y a une base, un espèce de cheddar bas de gamme, décliné selon plusieurs couleurs : blanc, c’est de la mozzarelle, jaune c’est du cheddar, orange c’est estampillé gouda. Quoi, qui a dit que je caricaturais ?

  • Mathilde 9 novembre 2010 22 h 12

    et tu crois qu’on peut en envoyer par la poste (vin ou fromage) ? c’est quoi la législation là-dessus ?

      • Michel 14 novembre 2010 20 h 51

        Alors c’est noté, je fais le voyage uniquement pour vous apporter une bonne bouteille. J’en profiterai sans doute pour renouer le pacte de l’amitié… ah !! si seulement vous n’aviez pas arrêté l’autre stupéfiant nicotinique qui nous unissait…. Me reviens à la mémoire ces soirées autour du vin, de la clope et du projet de constitution européenne…

  • Apotheloz 12 novembre 2010 15 h 00

    Bravo. Belle écriture qui nous tient en haleine ! Il y a peut-être un débouché : faire venir des tonneaux entiers peut-être que la censure taxeuse ne s’intérese qu’aux bouteilles…

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