Architecture et participation citoyenne: vue d’ensemble

Qui est le plus à même de définir l’usage d’un projet architectural : son concepteur ou son utilisateur ? Dans un subtil jeu d’équilibre pour faire prévaloir l’intérêt général, chacun cherche sa place…  (Une partie de ma modeste contribution à un dossier passionnant de la revue Esquisses sur l’architecture et le citoyen – pour celles et ceux que le sujet passionne…)

Office de consultation publique, droit d’initiative en consultation publique, charte des droits et responsabilités, conseils de quartier, référendums consultatifs… Ces dernières années, la participation citoyenne a profondément changé de visage. Aller voter une fois tous les quatre ans n’est plus suffisant pour de nombreux citoyens qui souhaitent être consultés plus souvent et autrement.

Ce constat vaut aussi bien pour l’exploitation du gaz de schiste que pour le réaménagement d’un quartier ou la construction d’une nouvelle école, et ce, n’importe où au Québec. « La consultation publique est devenue un outil incontournable de notre démocratie, explique Michel Venne, directeur de l’Institut du Nouveau Monde (INM). La notion de qualité de vie est au cœur des aspirations des citoyens. Ils veulent donner leur avis sur l’environnement dans lequel ils vivent, leur quartier, leur ville, leur village. Ils n’ont peut-être pas toujours le vocabulaire ou les connaissances techniques nécessaires, mais ils sont compétents pour exprimer leurs besoins en termes d’organisation spatiale, de mobilité, de protection de la nature, etc. Pourquoi ? Parce que ces questions touchent leur vie de tous les jours. »

Pour un architecte, cette expertise du quotidien représente à la fois une chance et un danger. Maxime Frappier, architecte associé chez ACDF, convient qu’il est « essentiel de définir les usages avec les usagers. Ils doivent accompagner le projet du début à la fin et en être partie prenante. L’architecte, lui, doit prendre le temps d’observer, d’écouter. Il doit être sensible à ce que vivent les gens et être capable de prendre acte de leurs inquiétudes ou de leurs attentes. D’ailleurs, un architecte qui a confiance en ses moyens ne devrait pas craindre la consultation ».

« C’est dans l’expérience des gens que l’architecte puise ce qui va rendre le projet encore meilleur », ajoute Antonin Labossière, du cabinet Rayside Labossière. Même s’il n’est pas toujours facile de concilier les différents points de vue, avoue-t-il.

La richesse des usagers

Qui sont ceux qui expriment une dissidence au nom d’une collectivité ? Des citoyens curieux et impliqués dans leur communauté ou des gens qui ne représentent qu’eux-mêmes ? Des organisations partisanes défendant leurs privilèges au détriment de l’intérêt collectif ? Des opposants professionnels ? Impossible de les mettre tous dans le même panier, bien que plusieurs s’échinent à leur coller une étiquette. « La participation citoyenne implique que les élus, les fonctionnaires, les promoteurs, les architectes acceptent de partager le pouvoir, rappelle Michel Venne. Or, ils craignent que ce soit toujours les “suspects habituels” qui viennent se prononcer et fassent pencher la balance, plutôt que les citoyens directement concernés. »

Pourtant, la participation des usagers à un projet « ne dépossède pas l’expert de son savoir », poursuit le directeur de l’INM. Selon lui, les citoyens ont besoin de son point de vue : « Ils veulent laisser aux spécialistes leurs champs d’expertise, mais souhaitent que cette connaissance soit partagée. Et la consultation apporte à l’architecte certaines informations qui peuvent lui permettre de produire un résultat optimal. »

Éviter l’architecture de compromis

Pas question cependant de tendre le crayon à l’usager, ni même de le tenir avec lui, font valoir des architectes. Pour Mario V. Petrone, du cabinet Petrone architectes, « il y a des limites à respecter de part et d’autre. C’est la grande difficulté du citoyen qui croit que, parce qu’il paie en tant que client, il peut s’immiscer dans le processus de création, le fonctionnement du projet et même, à l’occasion, l’aspect technique ou scientifique ». Il y voit une forme d’ingérence.

Selon Maxime Frappier, l’architecte doit encadrer cette richesse que représente l’expérience des usagers. « Cela peut devenir dangereux pour un projet si le citoyen pense détenir la vérité. L’architecte doit toujours conserver le leadership, sinon on risque de perdre la force du concept et de multiplier les accommodements. » Un avis que partage en partie Antonin Labossière, pour qui « le danger, avec la consultation, c’est qu’elle tende vers le compromis plus que vers une vision. C’est le risque ultime. L’architecture de compromis fait rarement avancer l’architecture ».

Comment alors éviter cet écueil où l’architecte ne serait que la simple « ressource technique » d’un projet sans âme ? Comment préserver la dimension artistique, originale ou innovante apportée par l’architecte ? En consultant le public le plus en amont possible, expliquent les professionnels. « Cela garantit que l’ensemble des parties prenantes s’approprie le projet », affirme Clément Demers, architecte, urbaniste et directeur général du Quartier international de Montréal.

Il ne faut pas non plus hésiter à présenter des croquis, un bout de maquette, une simple esquisse, dit Maxime Frappier, « car on place alors les gens au même niveau de compréhension que nous. Ils comprennent qu’ils peuvent s’exprimer, que tout n’est pas joué d’avance et ils se rallient plus facilement ».

Et qu’en est-il de la co-conception ? C’est une notion intéressante tant que l’architecte fait valoir son leadership, croit Clément Demers. « Le risque est de concevoir des bâtiments qui n’ont comme seules vertus que d’être utilitaires, fonctionnels et faciles à entretenir. Or, chaque bâtiment devrait apporter une valeur ajoutée à son environnement. L’architecture, c’est aussi un art, un geste culturel. Quand on fait de l’architecture, on prend position et, à la fin, l’architecte doit demeurer seul responsable de la conception. » Consulter pour mieux créer, en quelque sorte.

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