Elle m’en a raconté des histoires, les joues givrées et la bouche pleine de flocons

Il a été long en maudit, celui-là. Ce n’est pas permis de faire des hivers qui durent autant.

Pour fêter le retour du printemps, nous avons fait une petite promenade sous le soleil d’Oka, avec juste une petite laine sur les épaules, rien de bien épais, hein, vu les conditions météo, c’eut été idiot d’empiler les couches. Ambiance banquise…

À part ça, il faut que je vous raconte…

Ma fille a grandi. Elle a maintenant quatre ans. Elle avait huit mois quand nous sommes arrivés. Bientôt, elle ne pourra plus s’asseoir sur son fauteuil de vélo. Nous ne cheminerons donc plus l’un devant l’autre – ou l’un derrière l’autre, selon de quel point de vue on se place – pour rejoindre sa garderie. C’était notre dernier hiver de cobicyclette. Et je dois dire que ça me fait quelque-chose. Parce que nous en avons fait des kilomètres sur la glace, la neige et dans le vent, nous en avons bravé des tempêtes, elle, emmitouflée, manteau et mitaines bien mises, casque vissé sur sa cagoule bleue en polaire; moi, pédalant vaille que vaille pour faire avancer le bicycle, équilibriste imprudent, hurluberlu heureux de partager avec elle tous ces moments merveilleux.

Elle m’en a raconté des histoires, la bouche pleine de flocons, les oreilles givrées et les joues rouge carmin pendant que je m’évertuais à maintenir notre biclou à l’équilibre. Et sur la neige, avouons-le, il est quand même question d’équilibre.

Ce qu’il faut dire, c’est que l’engin à deux roues ne ressemble à rien. Après trois hivers passés sur les routes, par des températures souvent indécentes, la bécane a vieilli plus rapidement qu’une autre. D’ailleurs, ils ne sont pas nombreux les bicycles qui sortent à cette période de l’année, car la mécanique est mise à rude épreuve.

Cet hiver par exemple, la chaine de notre vélo s’est bloquée. Si par malheur j’arrêtais de pédaler, je déraillais. Sur la neige, c’est prendre un risque supplémentaire bien sûr. Mais en même temps, remettre une chaine de vélo par -25 avec un passager de 44 livres qui gigote pour ne pas se refroidir, ça n’est pas exactement une partie de plaisir. Surtout lorsque l’opération doit être répétée une dizaine de fois sur une distance de deux petits kilomètres.

Pour régler le problème, je n’ai en fait trouvé qu’une solution: lâcher les pédales, écarter les jambes et laisser le vélo à ses affaires. Le pédalier continuait de tourner tout seul…

L’autre inconvénient du grand froid, c’est que les freins ont tendance à se crisper. J’ai du débrancher le frein arrière dès les premiers frimas venus. Le vélo a ensuite fonctionné sur le seul frein avant qui a finalement fait des siennes. Un beau matin, la mâchoire a refusé de revenir dans sa position de départ, frottant de façon exagérée sur la roue. Seul un petit coup de pied bien placé permettait de redresser le bidule récalcitrant. Pratique.

Zéro prise de risque

Nous voguions donc sur notre frêle embarcation, dans des conditions périlleuses. Je vous laisse nous imaginer… elle, moi et notre vélo. Je fanfaronne bien sûr.

Nous avons été prudents, très prudents même et pas une seule fois je n’ai pris de risque inconsidéré. Pas même lorsque le biclo roulait tout seul sur son tapis de neige, que j’avais les jambes écartées pour éviter de contrarier mon pédalier, que je donnais de temps en temps un coup de pied sur le frein pour lui faire relâcher la pression, que le vent soufflait en rafale, que la neige tombait en abondance et que ma fille me demandait avec insistance de lui chanter une chanson de Lady Gaga… Zéro prise de risque. Promis.

Un matin, alors qu’il était tombé dix centimètres de neige dans la nuit et que la température avoisinait les -10 degrés, j’ai demandé à ma fille si elle ne préfèrerait pas plutôt prendre le bus. Que nenni.

– C’est moi qui a choisi ma décision, m’a-t-elle répondu, me laissant entendre que le vélo avait sa préférence.

Nous voilà donc, quittant la rue de Bordeaux en direction du sud. Virage à droite, rue de Bellechasse. Nous passons devant l’ancienne école primaire du grand frère, nous traversons l’avenue Papineau, passons devant la nouvelle école secondaire du grand frère. Nous progressons difficilement vent de face. À droite, le jardin communautaire est enseveli sous deux mètres de belle poudreuse. Le froid est saisissant mais la lumière est limpide. Chaque matin, c’est à ce moment-là que nous parvient l’odeur du pain qui réchauffe pendant quelques secondes l’air ambiant. Une bonne odeur de baguette chaude qui s’échappe de la petite cheminée de la boulangerie-pointe de pizza.

Un autre jour, où il faisait froid mais sans plus, ma fille a voulu descendre du vélo et finir le trajet à pied. Je ne comprenais pas, après toutes les épreuves que nous avions déjà traversées…

Moi: Z., enfin, ce n’est pas la fin du monde aujourd’hui.
Elle: Si c’est la fin du monde.
Moi: Ah bon, c’est quoi la fin du monde ?
Elle: C’est quand on pleurniche !
Elle a finalement cessé de pleurnicher, la terre a continué de tourner et nous avons poursuivi notre route jusqu’à la garderie.

Une autre fois, j’ai entendu sa petite voix, dans mon dos:
Elle: Papa, je veux te dire des mots d’amour.
Moi: …
Moi encore: … et comment ! je t’écoute…
Elle: Même quand tu serai mort, je t’aimerais toujours…
L’hiver est fini et je suis toujours en vie. Ouf.
Notre vélo, par contre, n’a pas eu cette chance.

À part ça, c’était jour d’élection au Québec.
Et, de ce point de vue, le printemps est encore loin…
Comments: 14
  • franceschi 8 avril 2014 0 h 34

    toujours le plaisir de lire tes posts, bien chanceux pour vous d’avoir eu un hiver parce que pour nous il s’est situé au dessus de 1500 m, on a certes un beau printemps mais pas pour le résultat des élections… avec en plus un joli tremblement de terre de 5,2 hier soir ( et ce n’est pas à imputer à Guerini qui a quitté le PS ), petits dégâts matériels en attendant le big one 🙂
    mes amitiés à Biclou

  • C'est moi 8 avril 2014 3 h 39

    Un bon moment de lecture. Merci! Même pas senti le tremblement de terre sauf pour les municipales. Bises à tous.
    Guillaume

  • Marie-Anne ROUAN 8 avril 2014 13 h 06

    J’adore lire ta prose et j’ai toujours envie d’en lire plus, encore et encore!!!!!!!!!
    Merci pour ces beaux moments tous doux…
    Manette

  • Marianne 8 avril 2014 15 h 31

    Merci Rémi de partager ces moments… très sympa.

  • Mich Much 9 avril 2014 7 h 07

    Maudit Rémi…. c’est toujours écoeurant de te lire… et même que j’ai cru vous apercevoir dans la ruelle Z et toi… Des becs !!

  • elsa 9 avril 2014 9 h 14

    Houaouh, t’écris bien….! Envie de vous voir, et d’entendre Zoé, de la prendre aussi sur mon vélo pour mieux la rencontrer, mais à défaut , j’ai ta lecture et c’est vraiment chouette. Bises

  • erwan 9 avril 2014 14 h 17

    donc vous allez vous mettre au traineau ! on peut espérer encore de long et beau texte, d’autant qu’en grandissant, c’est la Z qui trainera son papou !
    tremblement ? Ah oui lisette a rejoint le Gogo… et ben la vie est toujours aussi chaude en Massalia… leur faudrait un coup raton et de glaçon pour les calmer !
    z’êtes con d’aller aussi loin, ça manque de se voir..c’est ty pas permis. les bises à la tribu. Achile envoie un message sur rhizome pour ton dernier article !

  • armelle1507 10 avril 2014 16 h 48

    Oh Rémi ça faisait longtemps que je ne t’avais pas lu ! il est beau ce billet ! tiens si beau que je le partage sur le blog que je viens de créer après avoir été élue conseillère de secteur dans mon nouveau quartier, le 15-16. Je me souviens qu’il y a six ans, tu m’avais interviewée à la gare saint charles 🙂 bisous à toute la famille !

  • armelle1507 10 avril 2014 16 h 49

    A reblogué ceci sur Le Temps des Ceriseset a ajouté:
    Un bien joli billet à lire, d’un marseillais devenu montréalais 🙂

  • Julien 10 avril 2014 17 h 46

    Chanter du Lady Gla-Gla en plein hivers…. mouais, ça colle!

  • JPaul 11 avril 2014 16 h 03

    On ne sait pas si on a envie d’être Zoé, toi ou le vélo ou les trois à la fois.
    Bises

    Jean Paul

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