Est-ce bien malin de manger des mandarines bio espagnoles en plein mois de janvier au Québec ?
Cette histoire de mandarines bio espagnoles importées au Canada est-elle développement durable ? En même temps: est-ce que l’on demande à l’agriculture biologique d’être « développement durable » ? Mais encore: comment privilégier les filières courtes et la relation producteur-consommateur dans un pays de près de 10 millions de km2 où il ne pousse rien pendant une bonne partie de l’année ?
Dans une autre vie, en Provence (décidément !), ces questions se posaient avec nettement moins d’insistance, forcément. Les productions agricoles respectaient – et j’imagine que cela n’a pas beaucoup changé depuis mon départ – le rythme de saisons qui ressemblent encore à des saisons.
Les tomates se mangent en été. Le chou en hiver. Après six mois à manger des tomates, on se met étrangement à languir les premiers choux. Et vice et versa. Les logiques d’agriculture biologique, d’exploitations agricoles à taille humaine, de recul progressif de la monoculture, de réseaux de distribution qui privilégient la proximité, etc. tout cela a du sens. La taille du territoire et les conditions climatiques le permettent.
Mais dans cette nouvelle vie canadienne, dans ce pays immense et glacé où rien ne pousse, ou si peu, entre novembre et mars-avril, soit à peu de choses près la moitié de l’année, comment fait-on ? Comment manger selon ses convictions ou tout le moins en ayant l’impression de participer (parfois en se leurrant un peu sans doute) à la protection de l’environnement ? Il s’agit certes des préoccupations d’un consommateur privilégié qui a le temps de se poser ce genre de questions et, selon les périodes, l’argent pour manger en toute bonne conscience. Cela dit, le débat n’est pas si poche.
Livraison à domicile
« Environ un pour cent des ménages canadiens consomme des aliments biologiques. Nous sommes loin des quatre pour cent observés aux États-Unis », rappelait Denis La France, enseignant spécialisé sur ces questions, à l’occasion d’une conférence donnée l’an dernier à l’Université de Montréal. Par ailleurs, 1% seulement des terres agricoles du Québec sont certifiées en « bio ». Ce qui, l’un dans l’autre, ne fait pas bézef.
Il existe cependant plusieurs entreprises qui livrent des paniers de fruits et légumes bio à domicile. Une stratégie d’approvisionnement que nous pratiquions depuis plusieurs années en France grâce à divers sites internet.
En arrivant à Montréal, nous avons constaté avec joie que ce type de sites existait également et qu’il était possible de commander en ligne sa livre de patates ou son kilo de carottes. Organics, of course. Ce que nous faisons depuis, par quinzaine, avec le site Le Jardin des Anges.
Jusqu’à la mi-octobre, nous avons donc réceptionné chaque jeudi matin nos fruits et légumes sur le pas de la porte sans rien trouver à y redire. A l’automne, nous avons commencé à regarder avec circonspection le raisin bio de Californie mais l’avons mangé en oubliant assez vite qu’il avait parcouru 4 000 km pour venir jusqu’à Montréal.
A l’approche de l’hiver, nous avons ressorti un livre de 500 recettes autour de la pomme, en prévision. Mais l’avons finalement remis sur l’étagère lorsque sont arrivés pêle-mêle dans les semaines qui ont suivi:
- des bananes du Honduras (3 700 km),
- des mangues du Pérou (6 500 km),
- du raisin américain encore (4 000 km), et…
- des mandarines d’Espagne (5 500 km)
Curieusement, ce sont les mandarines espagnoles qui ont déclenché chez nous une vague bien réelle de scepticisme alors même que les mangues péruviennes ont parcouru 1 000 km de plus pour rejoindre le Québec. Au fond, je dois me sentir plus proche d’une mandarine espagnole que d’une manque péruvienne. Ce qui peut s’expliquer assez facilement par des origines géographiques quasi communes.
Cela dit, toutes bio qu’elles sont, ces tonnes de mandarines qui traversent l’Atlantique, forcément, ça pose question. Toute cette histoire est-elle bien développement durable ? Or, la notion en question s’appuie sur l’idée que nous serons capables, assez rapidement, de mettre en place de nouvelles formes d’organisation sociale et technique afin d’assurer notre développement sans entraver les possibilités de développement des générations futures.
Le mode de production de la mandarine bio espagnole entre dans le cadre de cette définition (si on veut bien faire semblant d’y croire). Son mode de distribution par contre est tout sauf durable. Bon, sans faire le coup de l’empreinte écologique et patati et patata, que reste-t-il de bio à cette mandarine lorsqu’elle arrive dans mon assiette ? Elle n’a pas mangé de pesticides mais qu’est-ce qu’elle a consommé comme kérosène !
Sans compter que pour arriver mûre rue Chabot, Montréal, un 28 décembre, elle a dû être cueillie de façon bien précoce et/ou maintenue dans des conditions de conservation qui n’ont pas grand chose d’écologique elles non plus.
Sur le site du Jardin des Anges, on explique:
« Les fruits et légumes composant votre panier sont judicieusement sélectionnés afin de vous offrir le meilleur rapport qualité /prix disponible sur le marché. En premier lieu, nous choisissons les produits locaux. En second lieu, nous devons nous approvisionner à l’extérieur du Québec pour vous offrir une variété de fruits et légumes intéressante. Évidemment, TOUS nos produits sont certifiés biologiques par des organismes reconnus. »
Autre argumentaire pour justifier la « fraîcheur » des produits:
« Notre système de distribution accéléré vous assure la fraîcheur du contenu de votre panier. À l’instant où nous recevons les récoltes de nos producteurs, les aliments sont rapidement emballés afin que les livreurs vous les apportent sans délai. Si vous recevez un produit que vous jugez « non-consommable », faites-nous en part et nous le remplacerons gratuitement lors de votre prochaine livraison! »
« A l’instant où nous recevons » les mangues péruviennes, il s’est juste passé quinze jours depuis qu’elles ont été récoltées !
En même temps, comment faire autrement ? Quelles sont les solutions ? Et la mandarine n’est qu’un exemple parmi des dizaines de variétés de fruits mais aussi de légumes. Alors quoi ? On mange des mandarines espagnoles « conventionnelles » qui, de toutes façons, n’ont rien de développement durable à la base, donc peuvent bien faire un trajet en porte-containers ou en avion en sus ? On mange des mandarines bio du Mexique en se disant qu’elles ont parcouru moins de kilomètres que leurs congénères espagnoles ? Du flan. Le fait qu’elles parlent la même langue ne changent rien à l’équation et dans cette histoire, il n’y a pas trente-six solutions. La plus simple: arrêter la mandarine.
Donc arrêter la banane, arrêter le kiwi, le raisin, la tomate (dix mois sur douze), le concombre, le…
ce n’est donc pas pour rien qu’ils ont inventé la Poutine…
Bon allez je vais faire cuire mon poulet qui est venu en cariole depuis 20 kms avec des patates qui ont fait 9 kms, petite exception pour le vin, 150 kms, en voiture aussi… au printemps les légumes passeront direct du jardin à l’assiette mais il faudra d’abord se baisser pour les planter, se baisser pour les biner se baisser pour les ramasser et se rebaisser pour les ch…, ah zut je m’égare.
L’avantage du milka, c’est que ya pas de saison. Et ça, c’est rassurant.
Rémi,
Tu soulèves là une question très pertinente. Sans trop élaborer, je te dirais que plusieurs militants pro-agriculture bio au Québec (dont je suis), privilégient en hiver l’achat local plutôt que bio-par-dessus-tout. Au marché Jean-Talon, tu peux encore te procurer plusieurs légumes locaux, ainsi que des pommes du Québec, dont certaines variétés se conservent jusqu’en février.
Pour faire encore mieux, il faut adopter les méthodes de nos ancêtres et consacrer quelques week-ends, lors des récoltes abondantes de l’automne, à la préparation de compotes, confitures et conserves.
L’achat d’un petit congélateur est aussi très intéressant. Framboises, bleuets, et autres petits fruits s’y conservent très bien, et c’est agréable, en pleine tempête de neige de fin janvier, de goûter à des fraises d’ici 😉
Évidemment, il ne poussera jamais de citrons, de mangues ou d’ananas au Québec, donc il faut savoir faire des entorses à son code éthique.
Bonne exploration!
Bonjour Marie-Claude, bien d’accord avec toi. Même si je n’ai pas nécessairement la patience pour les conserves et autres confitures ! Cela dit, on peut aussi faire une « pause » sur beaucoup de fruits et légumes et attendre patiemment le retour du prin… de l’ét… de l’automne en fait !
Et la fraise continue de faire parler d’elle : après la fraise d’Espagne, la californienne. Encore un fruit qui vient malheureusement d’ailleurs…
http://www.protegez-vous.ca/sante-et-alimentation/fraises.html