Manger un בײגל (bagel) à Montréal: mais qui est donc le seigneur des anneaux ?
En cette saison, le porteur de lunettes qui franchit le seuil de l’échoppe Bagel Baubien perd l’usage de la vue. Le froid extérieur accoquiné à la chaleur du four à bois embuent instantanément ses carreaux. Il n’y a là rien de bien grave me direz-vous car chez Bagel Baubien, ce qui prime, c’est l’odorat.
Il est d’ailleurs bien difficile de distinguer qui des graines de sésame dorées, de la pâte au levain ou du feu de bois dégagent le parfum le plus enivrant. L’alchimie est plus complexe qu’il y paraît et c’est, j’imagine, le subtile équilibre entre tous ces éléments qui éveille les sens de si plaisante manière.
Le taux d’humidité dans la boutique s’explique aussi par le mode de préparation du bagel, brièvement plongé dans l’eau bouillante avec d’être passé au four. Ce qui rend sa croute si particulière, d’une souplesse toute croquante. Les techniques de fabrication sont aussi nombreuses que les boulangeries à bagel en Amérique du Nord. J’ai tout de même l’impression que trop d’eau dans la préparation ne permet pas de conserver un bagel tendre très longtemps.
Sur le sujet, la littérature ne manque pas. Lorsqu’on se renseigne sur ce pain traditionnel de la communauté juive ashkénaze, on apprend par exemple que New York et Montréal sont les deux villes où sont fabriqués « les deux grands classiques » des bagels. « Il y a l’orthodoxie de New York et de Montréal et une foule d’hérésies tout autour« , dit-on. A Montréal même, il existe une rivalité toute symbolique entre les boulangeries dont l’activité est entièrement dédiée à la fabrication du précieux anneau.
Mais qui est, finalement, le seigneur des anneaux ? Les deux institutions montréalaises dont les noms sont régulièrement cités sont les boutiques de la rue Saint-Viateur, dans Mile End et Fairmount Bagel, rue Fairmount.
Dans plusieurs quartiers de la ville cependant, les habitants défendent leurs bagelangeries et revendiquent le titre de « meilleur bagel » de toute l’île de Montréal. Y compris à Rosemont, avec Bagel Baubien. Même si j’imagine qu’il doit pouvoir exister de meilleurs bagels ailleurs – je n’ai pas encore eu l’occasion de tester ceux des rues Saint-Viateur et Fairmount – ceux que j’achète chez le fournisseur du quartier sont déjà incroyables.
Les grains de sésame se figent sur la croûte…
Le four à bagel tourne à plein régime toute la journée et la production se fait en continu. Se faire servir des bagels chauds est donc la norme. Chez mon dealer, le four est placé juste derrière le comptoir. A droite du four a été disposé une longue planche en bois inclinée, sorte de toboggan qui sert de réceptacle aux bagels cuits. Lorsqu’ils sont prêts, le bagelanger les basculent sur ce plan incliné et le ou la vendeur(-se) les récupèrent à cet emplacement. Par douzaine ou demi-douzaine, il les glisse ensuite dans de grands sacs en papier, puis dans une poche plastique avant de les tendre au client.
La magie opère définitivement une fois repoussée la porte de la boutique. Dehors, il fait très froid. Je plonge la main dans le sac, sens l’humidité qui a déjà ramolli le papier et saisis un bagel encore tout chaud. Au contact de l’air froid, le bagel achève sa mue. Il semble se cristalliser. Les grains de sésame se figent sur la croûte qui trouve une juste fermeté entre mes doigts.
Je passe les anses de la poche plastique autour de mon poignée pour ne pas être embarrassé en cet instant critique et, délicatement, je romps le bagel. Je brise l’anneau. « My precioussss », souffle-je entre mes dents. Le bagel pousse un imperceptible gémissement, sa chaire blanche et fumante m’apparaît alors et, le temps d’approcher l’objet du délit à hauteur de ma bouche, le froid a parachevé son oeuvre. En l’espace de quelques secondes, il a figé ce morceau de bagel dans sa texture idéale. Un classique en boulangerie, celui qui consiste à rechercher le meilleur équilibre entre la fermeté, la dureté de la croûte et la tendresse de la mie. L’une et l’autre étant si radicalement opposées et pourtant exactement indissociables.
Rue Baubien, les pieds dans la neige, le point d’équilibre du bagel est donc atteint grâce aux conditions climatiques…
Bagel au saumon fumé
Autre moment d’audace partagé avec un bagel dans le cadre d’une recette un peu plus élaborée: le bagel au saumon fumé. Plus classique que le bagel les pieds dans la neige mais terriblement efficace. Et vite préparé.
- Couper le pain rond en deux dans le sens de… la rondeur justement afin d’obtenir deux tranches symétriques qu’il faut ensuite passer rapidement au grille-pain. Ô magie, en Amérique, les grille-pain disposent généralement d’un bouton « bagel »: la résistance ne chauffe alors que d’un côté !
- Etaler ensuite le fameux cream cheese (fromage à la crème) sur les deux tartines. On en trouvera un peu partout et, en particulier, dans les bagelangeries,
- Recouvrir de morceaux de saumon fumé et de quelques brins d’aneth,
- Accompagner l’ensemble d’une salade verte et d’un verre de Chablis et le tour est joué.
Hummmm…
arrête! tu me donnes faim dès 8h43…. et il n’y a pas de bagelangerie à Châteauneuf! Faudrait importer, mais les conditions climatiques d’ici ne révèleraient pas toute la saveur de ce fameux pain … Dommage, on se contentera de pan-bagnat, dégoulinant d’huile d’olive.
Ah mais… je ne dis pas non à un pan-bagnat !
Un bon morceau… de poésie ! miam….
Je confirme Isa de la pure poésie et en plus quand tu les déguste à la manière décrite par Rémi, c’est un grand moment.
wouahou… tu pourrais te reconvertir en blogueur culinaire…!
Perso, je n’ai pas goûté les Bagel Beaubien mais ceux de St Viateur (il existe une succursale (et un immense four à bois qui vaut le détour) sur l’av Mt Royal) sont exceptionnels. Et je confirme que la recette ci dessus, déjà usitée, est en effet délicieuse !
Happy Hollidays
On m’a laissé entendre que les deux bagelangeries – Baubien et St. Viateur – auraient le même propriétaire. Ceci expliquerait cela. Joyeuses fêtes !