Ma factrice, un duplex, l’état des routes et autres considérations révélées avant Wikileaks
Elle s’appelle Sophie*. Chaque matin ou presque, elle monte l’escalier extérieur du duplex de la rue Chabot où nous habitons. Son métier, c’est factrice chez Canada Post. Dans les parties des rues Chabot et Cartier qui se situent dans son périmètre d’intervention, il y a au moins cent maisons construites sur le même modèle, avec le même escalier extérieur particulièrement raide, droit ou semi-circulaire et ses vingt marches en moyenne. Sophie m’a très gentiment fait comprendre que si je ne prenais pas soin d’enlever la glace qui recouvre les marches, elle ne pourrait bientôt plus me porter mon courrier.
« C’est votre premier hiver ? », qu’elle m’a dit. Décidément, ça se voit tant que ça ? j’ai eu envie de lui répondre. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que chaque geste que je faisais depuis quelques jours, chaque mot que je prononçais recelaient les preuves confondantes de ma condition de primo-arrivant. Jusque dans la marche gelée de mon escalier, on pouvait donc lire mon ignorance de l’hiver.
En même temps, Sophie est très attentive. Une fois, j’avais barré – cadenassé – mon vélo en bas dudit escalier (chose que je ne fais jamais en temps normal), si bien que la poignée du guidon dépassait de la rambarde. Déjà, à l’époque, elle m’avait sympathiquement fait remarquer qu’elle risquait d’accrocher la bandoulière de son sac à lettres au passage. Elle m’avait alors montré comment placer le vélo de telle sorte qu’il ne représente plus un obstacle infranchissable à la bonne marche de sa mission.
La poignée de vélo. Les marches gelées. Je prends la mesure aujourd’hui des risques importants que j’ai fait prendre à ma factrice chaque fois qu’elle s’est approchée de ma boite aux lettres. Je me suis donc promis de lui acheter deux calendriers pour me faire pardonner. Si tant est que la tradition existe au Québec…
1 000 mètres de dénivelé…
Cela dit, être facteur à Montréal est une gageure. J’en ai croisé une paire depuis le temps et chaque fois, j’ai eu à faire à des athlètes de haut niveau. C’est que l’urbanisme a un impact considérable sur l’ouvrage d’un facteur (sans parler des conditions de livraison en plein coeur de l’hiver !). Dans les quartiers comme le nôtre – Rosemont Petite Patrie – les livreurs de plis postaux (pour éviter de me répéter) font chaque matin l’équivalent d’un biathlon. Avec les duplex et triplex, ils ont un dénivelé équivalent à… proche de… Avant de procéder à un rapide calcule, quelques précisions s’imposent.
Un duplex est une petite maison à deux étages, soit un rez-de-chaussée + un étage (ci-contre). Ici cependant, contrairement à la France par exemple et sans faire d’ethnocentrisme mal placé, le rdc est appelé premier étage et le premier étage deuxième étage. Un triplex est donc constitué d’un rdc-1er étage, d’un 1er étage 2e étage et, tout naturellement, d’un 2e étage 3e étage. Je ne vous le fais pas dire.
Mais, et l’architecture des triplex est ainsi faite que l’entrée du 2e-3e étage se situe généralement au niveau du palier du 1er-2e étage. Donc deux entrées extérieures sur un même palier et, fort logiquement, deux boites aux lettres sur ce même palier. Si bien qu’un facteur qui livre ses épîtres (synonyme !) dans un triplex n’a finalement qu’un escalier à gravir, celui qui le mènera au 2e étage.
Côté dénivelé donc: un escalier duplex = 5 mètres de dénivelé positif environ et autant à la descente, soit 10 m par habitation, que multiplie une centaine d’escaliers, soit chaque jour environ 1000 mètres de dénivelé. Pas si mal.
Rue Jean-Talon et nids de poule
Mais ce n’est pas tout, car s’ajoute à cela la longueur des rues ! Et les facteurs ont des parcours « à plat » impressionnants. Pour qui ne connaît pas Montréal, se rendre à pied à un rendez-vous, c’est arriver avec assurément vingt-cinq minutes de retard minimum. Au cours de mon premier séjour, je devais me rendre dans un bureau d’Immigration Québec comme il en existe plusieurs dans la ville. J’avais visé un bureau sur la rue Jean-Talon, pas très loin du marché, pensais-je naïvement à l’époque, marché que je ne connaissais pas. Je comptais bien faire d’une roche – pierre – deux coups: bureau d’immigration + marché.
Descendu gentiment à la station de métro Jean-Talon, je commençais donc à progresser en direction de l’est sans faire bien attention à la numérotation des bâtiments. Ce n’est qu’après une marche sportive et volontaire que je me suis aperçu de mon étourderie. Bilan des courses: trois-quart d’heure à pied et autant en bus pour rejoindre l’extrémité Est de la rue Jean-Talon, idem pour revenir. Plus question donc de me parler de marché…
La longueur des rues est à l’échelle de ce pays. Démesurée.
Je ne sais pas si c’est le côté ras du bitume de cette chronique, mais tout cela me fait penser à l’état des routes assez déplorable au Québec. Les Québécois avec qui j’ai eu l’occasion de parler de ce sujet métaphysique de premier plan en étaient même gênés. Canadiens et Américains se « niaisent » quand ils parlent de l’état des routes, paraît-il. Côté américain, l’asphalte est nickel.
Côté canadien, c’est nids de poule et dos d’ânes, une vraie ménagerie. Les Canadiens prétextent qu’en hiver la neige et le froid détériorent considérablement les revêtements. Ce à quoi les Américains répliquent généralement que l’hiver ne s’arrête pas à la frontière – comme le funeste nuage de Tchernobyl -, que leurs routes aussi subissent les intempéries, mais que cela ne les empêche pas d’en avoir en bon état.
Une question subsiste néanmoins (selon la formule chère aux journalistes qui n’arrivent pas à finir un papier): Mais comment font donc les habitants d’un haut de triplex pour rentrer chez eux puisque leur porte d’entrée se situe sur le même palier extérieur que leurs voisins de dessous, ceux du 2e étage ? Pour la réponse, rendez-vous sur Wikileaks…
* Son prénom a été modifié pour des raisons évidentes de sécurité**
** Nan, c’est pas vrai.
Où l’on constate que wikileaks.org vient de se faire déconnecter par son fournisseur de nom de domaine qui se prend des airs de censeurs…
Merci Eric Besson (entre autres) !
Voici la nouvelle adresse où on peut trouver wikileaks: http://213.251.145.96/
j’ai redirigé le lien !
As tu du coup pensé en plus du tapis qui recouvre les marches au plastique pour calfeutrer tes vitres ??? ça aussi c’est une des bonnes joies de l’hiver…
Tu me fais peur là ? Le plastique pour calfeutrer les vitres !!! Il y en a déjà deux épaisseurs, de vitre, et il faudrait en plus les plastifier ?
Cette question d’entrée au second 3ème étage est bien mystérieuse en effet ! Nous donneras tu la solution bientôt ?
Suspense !!!!
Je suis bien contente d’avoir commencé ma journée en lisant ce post (Canada….ahahah….non ok je sors…)!
J’aime beaucoup ton blog Rémi!