Au Québec, l’école primaire a-t-elle digéré la réforme et le « Renouveau pédagogique » ?

Depuis dix ans, le système scolaire québécois vit au rythme des ajustements de la grande réforme de l’enseignement née au lendemain des Etats généraux de l’éducation, organisés à la fin des années 90. Ce « Renouveau pédagogique » tel qu’il a été qualifié ensuite avait pour ambition de « redonner une cohérence d’ensemble au système scolaire » de la province canadienne, selon Clermont Gauthier, spécialiste en formation à l’enseignement à la Faculté de l’éducation de l’Université Laval de Québec : « La réforme devait faire face aux nouvelles réalités contemporaines. Pour favoriser la réussite scolaire et permettre aux élèves d’obtenir un diplôme, il fallait donc revoir leur curriculum ». Au début des années 2000, le taux de diplomation des jeunes québécois de moins de vingt ans ne dépassait pas les 70%, filles et garçons confondus.

Le régime pédagogique, les programmes, le financement, l’enseignement professionnel mais également la gouvernance… la réforme visait large et, d’une certaine façon, participait « plus d’un projet de société » s’efforcer de « valoriser le lien social plutôt que la création d’élites et le renforcement des clivages sociaux », ainsi que le rappelle Gilles Roy, chercheur associé au Groupe de recherche sur les environnements scolaires de l’université de Montréal. En 2001, le gouvernement québécois a donc procédé à une modification de sa Loi sur l’instruction publique, principal outil législatif hérité d’un temps où l’église catholique était toute puissante dans les écoles. Ce faisant, le gouvernement a redéfini la mission de l’école à partir de ses fondements de base : instruire, socialiser et qualifier tous les jeunes du Québec. Elle s’est appuyée sur deux grandes stratégies : la décentralisation vers l’école de certains pouvoirs et moyens financiers et l’élaboration d’un nouveau « Programme de formation ».

Dans ce nouveau contexte, la place de l’école primaire est également redéfinie. Pour le ministère québécois de l’Education, du loisir et du sport, elle vise « ultimement à permettre à l’élève de participer pleinement à l’évolution de la société en en faisant une citoyenne ou un citoyen à part entière ». Dans cette perspective et dans la mesure où la province doit composer avec une incroyable hétérogénéité de ses publics, le primaire devra « favoriser non seulement l’acquisition de connaissances par l’élève, mais également la maîtrise progressive des compétences qui lui donneront l’occasion de trouver réponse à des questions issues de ses expériences quotidiennes, d’acquérir des valeurs personnelles et sociales et d’adopter des comportements responsables et de plus en plus autonomes. » L’apprentissage et la maîtrise de la langue française sont la clé de voute de ce dispositif.

« Un système scolaire qui valorise l’enfant »

Les premières applications de la réforme dans le primaire sont mises en œuvre dès 2000. Le système compte six années de scolarité divisées, et c’est une nouveauté, en trois cycles de deux ans. Une année d’éducation préscolaire pour les enfants âgés de cinq ans complète le cursus (il existe également une maternelle à mi-temps dès l’âge de quatre ans pour les enfants handicapés ou issus de milieux défavorisés).

Sur un plan pédagogique, la réforme « a été assez radicale et nous sommes passés du paradigme de l’enseignement au paradigme de l’apprentissage », analyse Clermont Gauthier. Dans le Programme de formation, l’approche par compétences est privilégiée et la pédagogie par projets apparaît comme la nouvelle ligne de force. « Avant la réforme, résume Annie Charron, professeur en didactique à la faculté d’éducation de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), on évaluait des objectifs ; par la suite, on s’est mis à évaluer les compétences ». Selon que l’enfant soit scolarisé en maternelle ou au primaire, l’approche pédagogique n’est cependant pas la même. « Au préscolaire, détaille encore Annie Charron, c’est une approche développementale qui privilégie le jeu et l’éveil. Pour l’écriture par exemple, nous allons travailler la motricité, mais pas la calligraphie. De ce point de vue, l’approche disciplinaire de l’école primaire n’a pas sa place à la maternelle ».

Marie est Française et installée au Québec depuis plus d’une dizaine d’années. Certains de ses enfants ont suivi le cursus primaire québécois : « Le système valorise l’être humain, reconnaît-elle, et, très souvent, les enfants sont à l’aise, s’expriment facilement et sont bien dans leur peau. Mais, les faiblesses seraient sans doute dans le manque de culture générale (les programmes d’histoire et de géographie, par exemples, sont faibles) ainsi que le peu de travail d’expression écrite ». Elle estime par ailleurs que l’école propose « trop souvent des tests à réponses vrai-faux ou de ce genre, ce qui ne permet pas de développer une argumentation. »

Le système scolaire québécois place l’enfant « au cœur » du dispositif. Il est largement encouragé, ses capacités sont valorisées et le « Tu es capable ! » est un leitmotiv. Cependant, dans une approche par projets, « il ne s’agit pas de suivre l’élève et de le laisser faire son chemin, note cette conseillère pédagogique. Au contraire, les enfants sont très encadrés et pour les enseignants, cela implique de bien maitriser les programmes ».

2,5 milliards consacrés au primaire en 2011

Dans la revue de méthodologie Recherches Qualitatives, une équipe de chercheuses québécoises relevait toutefois que ces nouvelles démarches pédagogiques avaient introduit des changements majeurs dans les établissements, chez les élèves mais également et surtout au sein des équipes scolaires : « L’ensemble de l’équipe scolaire doit développer une nouvelle façon de travailler : formulation d’un projet éducatif, travail en équipe (élèves et enseignants), implication des élèves, nouveaux rôles des parents, etc. » Or, précisaient-elles encore, « face à ces changements, les écoles se trouvent souvent dépourvues. »

La réforme a-t-elle finalement été plus vite que la musique ? Certains le croient. « Nous ne disposions pas des outils pour accompagner la mise en place de cette révolution pédagogique, estime par exemple cette enseignante d’une école montréalaise. Les supports n’étaient pas prêts et aujourd’hui encore, nous travaillons à la compréhension des programmes révisés. »

De manière générale, le gouvernement québécois consacre une part importante de son budget à l’éducation. En 2011, cette part a connu une hausse de 3,3% (15,5 milliards de dollars), dont 2,5 milliards de dollars consacrés à l’école primaire. En 2008-2009, la province consacrait plus de 7,5% de son PIB à l’éducation. Mais dans le cadre de la réforme, « L’Etat québécois s’est également beaucoup mêlé de pédagogie, analyse Clermont Gauthier, et on est allés trop loin par rapport à la volonté commune qui s’était exprimée au moment des Etats généraux ». Selon le professeur en psychopédagogie de l’Université Laval, le Renouveau pédagogique n’a pas permis jusqu’à présent d’endiguer le décrochage scolaire, dont le taux au Québec est parmi les plus élevés des provinces canadiennes.

Les paradoxes du système québécois

Le Québec affiche par ailleurs de bons résultats disciplinaires dans les études internationales. Au PISA 2009, l’enquête menée auprès des pays de l’OCDE, la province canadienne obtient des scores supérieurs à la moyenne internationale dans plusieurs domaines : en lecture (522 pour une moyenne OCDE de 496), en mathématiques (543 contre 497) et en sciences (524 contre 501). Ce qui fait dire à Réjean Parent, président de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ) à laquelle est affiliée la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE), que « notre système est bon et performant. » Avant toutefois de nuancer : « Il est bon pour deux élèves sur trois. Or, le troisième, il ne faut pas le négliger. » Pour Egide Royer, professeur titulaire en adaptation scolaire à la Faculté des sciences de l’éducation de Québec, « la réforme n’a pas changé la situation pour les enfants qui ont des difficultés d’apprentissage ou des problèmes de comportements. » Dix ans après, note-t-il, 34% des garçons et 22% des filles n’ont toujours aucun diplôme à l’âge de 20 ans. Un constat que partage également M. Parent : « Si la situation n’a pas empiré, nous en sommes simplement rendus au même point qu’il y a quinze ans ».

Le système scolaire digère toujours sa réforme et le Renouveau pédagogique a encore parfois du mal à passer. Clermont Gauthier veut néanmoins croire en la capacité de l’école québécoise à s’adapter et à élaborer de nouvelles solutions. « Pour les enfants en difficulté d’apprentissage par exemple, un virage est en train de s’opérer. L’enseignement explicite revient en force. On part du simple pour aller vers le complexe et tout cela à partir de données probantes. C’est presque à l’opposé des approches constructivistes ou socioconstructivistes qui ont guidé la réforme pédagogique au primaire ». Un « virage » salué par Luc Chatel, ministre français de l’Education nationale, au cours d’une récente visite au Québec.

► L’article est paru dans l’Education Magazine

Comment: 1
  • Walter 8 mai 2011 8 h 53

    J’ajouterai ce point: pourquoi y a t-il ce décalage entre les bons résultats du Québec (bien supérieurs à la France) aux évaluations PISA-OCDE (=enfants de 15 ans) et l’extraordinaire défiance des classes supérieures québécoises pour l’école publique secondaire?
    Réponse: parce que PISA évalue les compétences de base, qui sont acquises par la majorité des élèves, l’école québécoise étant très égalitaire et très démocratique, exactement à l’inverse de la France qui ne parvient pas à tirer vers le haut les élèves défavorisés. En revanche, l’enseignement en secondaire ne serait pas assez exigeant en termes de littérature, histoire, géographie (comme le dit Marie dans ton papier), et les milieux culturels ou aisés choisissent les écoles privées qui offrent des programmes « enrichis ».
    Ajoutons qu’à Montréal, le facteur « immigration des pays du Sud » joue en défaveur du secteur public, fui par les élites (l’exemple de l’école Jeanne-Mance, pourtant située au coeur du Plateau Mont-Royal!). On peut ainsi entendre des cinéastes engagés ou des militants environnementaux expliquer que dans telle école primaire, pourtant située en plein Boboland quelque part sur le Plateau, il y a « beaucoup d’enfants haïtiens » et que c’est un problème (violence, comportements etc). A Québec, ville blanche, les écoles publiques semblent beaucoup moins contournées.
    Dernier point: il me semble que l’école primaire québécoise est vraiment bonne sur tous les points: pédagogies, créativité, culture générale. Je dirai que l’école secondaire publique manque en effet d’exigence mais que les enfants y sont globalement heureux.

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